Shangen, une ville Chinoise
A Wenzhou, ce qui m'a frappé, c'est le nombre de fois où on m'a présenté des gens qui habitaient ou dont les parents habitaient en Europe.
Regardez cette femme anonyme. Elle ne parle pas Français, ne sait probablement pas situer Paris sur une carte, mais elle porte un tee-shirt avec une Tour Eiffel dessus. Probablement un cadeau d'un cousin ou d'un oncle immigré à Paris.
Le cas du petit village de Shangen, près de Wenzhou, est très intéressant. D'autant plus intéressant que sa mutation s'est produite sur à peine deux décennies.
Je ne suis pas sociologue et modestement, je vais raconter ce que j'ai vu, à Shangen et ailleurs.
Les isei
A l'origine, c'était un village rural. Ses habitants avaient des vergers, élevaient des cochons ou de la volaille. Il y avait aussi quelques artisans.
Durant le Grand bon en avant, puis la Révolution culturelle, les grandes fratries sont encouragées en Chine, a fortiori dans les zones rurales. A une époque où l'agriculture est peu mécanisée, la forte population est vue comme un moyen de fournir des ouvriers ruraux.
Profitant de l'ouverture du pays (d'abord en interne, puis vers l'étranger), certains partirent chercher fortune ailleurs. D'abord à Shanghai ou à Pékin, puis en France, en Italie et plus tard, en Roumanie ou en Algérie.
En France, cette première génération d'émigrés tombent sur des restaurateurs Vietnamiens et Cambodgiens. Ces derniers, arrivés en France dans les années 70, souhaitent passer la main. C'est ainsi que par une ironie de l'histoire, les Chinois deviennent patrons de faux restaurants Chinois!
Ces émigrés, arrivés tardivement, se sont peu intégrés et ils avaient laissé une famille à Chengen. Ils n'ont donc eu souvent aucun mal à revenir, une fois leur fortune faite.
Certes, ils ont bénéficié de l'entraide communautaires. Pour autant, leurs histoires sont d'autant plus belles que la ruine, le chômage ou l'expulsion sont autant de mots tabous.
Bercés par les récits des premiers émigrés, les jeunes voulurent à leur tour tenter leurs chances ailleurs. Ils sont encouragés par leurs parents: dans un pays où la Sécurité Sociale et les pensions de retraites sont balbutiantes, les enfants doivent s'occuper financièrement de leurs parents.
Parents et enfants passent un contrat moral: les parents financent leur émigration, mais ils doivent leur envoyer un maximum d'argent et ils promettent de revenir pour leurs vieux jours. Les deux parties pensent naïvement que c'est jouable.
Cette deuxième génération d'émigrants n'a que 20 ans lorsqu'elle émigre. Ils ont pour eux l'enthousiasme de la jeunesse.
Néanmoins, très vite, ils déchantent. C'est plus compliqué qu'à Wenzhou d'ouvrir un commerce! En plus, les lois sur l'immigration se sont durcies; on les force à s'intégrer.
Certains jeunes partent en couple et d'emblée, le couple se délie. Face aux difficultés, certains hommes envisagent d'aller s'installer ailleurs, voir carrément de rentrer en Chine. A contrario, les femmes s'accrochent davantage, quitte à se séparer. Il a été dit que certaines ont envie de liberté, loin du machisme Chinois. Mais il y a aussi des cas où les femmes reprochent à leurs conjoints Chinois de ne pas se "conduire en homme" face aux soucis.
Une fois installé, ils se retrouvent pris entre traditions Chinoises et modernité occidentale. Ont-ils vraiment envie de donner leurs maigres bénéfices à leurs parents? Veulent-ils réellement revenir plus tard? Les coups de fils au pays et les versements d'espèces s'espacent...
Pendant ce temps, Wenzhou se construit. Le petit bourg de province devient une grande ville, toujours plus étendue. Entre un tiers et un quart de la population a émigré. Dans les villes en périphérie, c'est presque toute une tranche d'âge qui a disparu.
Pour combler le vide, des habitants venus de provinces pauvres débarquent. Ils représenteraient aujourd'hui un tiers de la population.
Shangen est le grand perdant de la croissance de Wenzhou. Il n'y a pas de métro et il faut marcher pour attraper un bus pour le centre-ville. Lorsqu'ils arrivent enfin en ville, ils tombent sur ces fameux émigrés, qui ne parlent même pas le patois wenzhounais!
Enfin, la construction d'autoroutes a encore plus enclavé le village, coupant ses routes.
Quant aux adolescents de Shangen, ils rêvent déjà d'Italie ou de France. Ils savent que sur place, ils auront un oncle pour les accueillir. La nouveauté, c'est que cette génération veut au préalable décrocher un diplôme universitaire et apprendre des rudiments de langue.
La première génération vieillit toute seule dans les immeubles. Shangen est devenue une ville morte.
Elle est même menacée dans son intégrité, face à la pression immobilière. La vieille ville de Shangen va être bientôt rasée pour laisser place à des immeubles de standing. Et les immeubles de Shangen, combien de temps vont-ils rester là? 5 ans? 10 ans?
Commentaires
Enregistrer un commentaire