Bernard Pivot


(Crédit photo France TV Pro)

La littérature est en deuil. La langue française est en deuil. On avait toujours connu Bernard Pivot vieux, avec cet air de prof à la retraite (il n'avait pourtant que 38 ans, lors de ses débuts télévisuels !) Il était atemporel avec ses costumes gris, ses cheveux touffus et ses petites lunettes. Il n'a jamais cherché à être tendance. Son patronyme était anachronique, désuet. "Bernard Pivot", cela sonne comme le personnage Français d'un jeu vidéo ou d'un film Américain ! On avait oublié qu'il était mortel.

Bernard Pivot était l'un des derniers souvenirs de l'ORTF. Ce temps où être animateur TV, c'était une infamie. On raillait ces journalistes ratés. Suspecté d'abrutir les masses, l'animateur devait montrer patte blanche. Il en conserva cet aspect humble. Ancien du Figaro, Bernard Pivot apparu sur le petit écran avec Ouvrez les guillemets, en 1973. L'émission fit long feu et fut oublié. Puis, à la création d'Antenne 2, en 1975, il lança Apostrophes. Cette fois-ci, les écrivains étaient réunis autour d'un thème commun.
Les critiques littéraires accusaient Bernard Pivot de rabaisser la littérature, pour séduire le grand nombre. Pourtant, les écrivains se bousculèrent. Il y eu Bernard-Henri Levy et son décolleté plongeant. Vladimir Nabokov et sa fameuse théière. Un duplex avec New-York pour qu'Elisabeth Craig (à qui était dédié Le voyage au bout de la nuit) évoque Louis Ferdinand Céline, pendant quelques secondes. Bukowski, ivre-mort, prenant à parti les autres invités, puis expulsé/exfiltré avant que l'émission ne tourne au pugilat.
Dans les années 80, le service public voulait répondre à la course à l'audimat de TF1 par de l'intellectualisme. Apostrophes correspondait bien à cette tendance des débats entre adultes, de seconde partie de soirée. Pour en rajouter, Bernard Pivot lança également sa dictée avec ses Dicos d'or. De même que les disquaires mettaient en avant les 45 tours du Top 50, les libraires mettaient en avant les livres d'Apostrophe. En 1990, l'émission s'arrêta. La FNAC Saint Lazare récupéra une partie du décor, avec ses livres blancs.

En 1991, Bernard Pivot rempila avec Bouillon de culture. Antenne 2, devenue France 2, lui imposa d'inviter des célébrités. Il faisait semblant de croire qu'ils avaient écrit eux-mêmes leurs livres. Il avaient un côté l'Ecole des fans : tout le monde est formidable, tout le monde mérite un 10. Il était passionné avec les érudits et bienveillant avec les incultes. A l'heure du zapping, il n'y avait pas grand chose à se mettre sous la dent, avec Bouillon de culture. Tout juste peut-on lui reprocher de la complaisance vis-à-vis de Gabriel Matzneff. Son émission était parodiée. Il eu son Guignol et même son Minikeum (!) Avec Jean-Edern Hallier, qui jetait des livres, Paris Première eu son anti-Bernard Pivot. Patrick Poivre d'Arvor fut un mauvais imitateur, avec son Vol de nuit, sur TF1. François Busnel, héritier spirituel revendiqué, a échoué avec sa Grande librairie, sur France 5. Avec le recul, on se rend compte à quel point Bernard Pivot était malgré tout exigent. Envers ses invités, envers les ouvrages -qu'il s'imposait de lire- et envers lui-même. La star, c'était les écrivains, leurs livres, pas lui.

Puis il y eu Double je, centrée cette fois sur la francophonie. 

Bernard Pivot quitta la TV discrètement. On le retrouva sur Twitter, dispensant ses bons mots. Membre de l'académie Goncourt, il fit également son coming out comme supporter de l'AS Saint-Etienne (!) Lui, le héraut de la langue française, collectionneur de mots rares, on l'aura voulu plus virulent face à l'anti-intellectualisme (de droite, puis de gauche.) Quoi qu'il en soit, il nous manquera.

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