Bandes (pas très bien) Dessinées


Un soir, mes pas m'ont mené devant une librairie. Il était tard et elle était fermée. Mais sa vitrine était éclairée de mille feux. En particulier, le rayon BD. Quoi de neuf ? Les Schtroumpfs, Les Tuniques Bleues, Spirou et Fantasio et Boule & Bill !
Quatre séries zombies. Les dessinateurs originaux sont morts depuis longtemps. Mais on a embauché des singes-savants, capables d'imiter leur trait. Aucun scrupule. Il s'agit uniquement de tirer le maximum d'une série.

La BD Franco-Belge (dite "école de Marcinelle") décolla au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Le Journal de Tintin et celui de Spirou se tirèrent la bourre. A l'origine, les dessinateurs devraient livrer une planche par semaine et il fallait plus ou moins improviser. Mais dans les années 60, les deux frères-ennemis (qui employaient parfois les mêmes dessinateurs), voulurent pousser les ventes d'albums. Dupuis était le plus implacable : chaque série devait produire un album par an. 

Les dessinateurs puisaient souvent dans leur quotidien ou les préoccupations de l'époque. Après tout, souvent, ils n'avaient que quelques semaines pour créer leur personnage. Sachant que la Seconde Guerre Mondiale était un tabou (sauf pour les séries militaires, comme Buck Danny.)
Lorsqu'il reprit Spirou et Fantasio, André Franquin évoqua les préoccupations de l'immédiat après-guerre : la peur de l'arme nucléaire et d'un nouveau conflit armé, le marché noir, puis la foi en un avenir radieux de progrès scientifiques...
Pour Boule & Bill, Jean Roba s'inspira tout simplement de son fils et de leur cocker ! Ancien illustrateur publicitaire, il fit du père de Boule un illustrateur publicitaire ! Chose rare, dans une BD des années 50, Boule possède un père et une mère (qui est femme au foyer.) La famille habite une petite maison, ainsi qu'une 2cv rouge et vit dans une banlieue proprette.
Afin d'échapper à un quotidien rude, Dupuis et Casterman voulaient de la fantaisie ou de l'aventure. Pierre Culliford (alias Peyo) imagina ainsi les aventures de Johann et Pirlouit, situé dans un Moyen-âge d'opérette. Dans un album, ils croisent des lutins, les Schtroumpfs. Le public se passionne pour eux, alors que les histoires de capes et d'épées de Johann & Pirlouit sont passées de modes. Les Schtroumpfs deviennent une série à part entière. Peyo s'est-il inspiré de sa jeunesse scout et de son passage aux Jeunesses Communistes ? Lui qui grandit dans une Belgique occupée, a-t-il été marqué inconsciemment par les caricatures antisémites pour créer les méchants Gargamel et Monulf ?
Autre sujet récurrent pour la BD jeunesse : le Far West. Morris claqua la porte de Dupuis pour autoéditer Lucky Luke. Raoul Cauvin, stakhanoviste du scénario et Louis Salvérius créèrent Les Tuniques Bleues, en 1969, pour combler le manque. Ancien de l'armée Belge, Louis Salvérius se seraient inspirés de cette expérience. Comme par hasard, les personnages principaux ressemblent à ceux de Beetle Bailey, créés presque 20 ans plus tôt : le gros va-t-en-guerre et le petit chauve tir-au-flanc... Trois ans plus tard, Louis Salvérius meurt. Willy Lambillotte, alias Lambil, prit le relais. Lambil créa aussi Pauvre Lampil, les aventures quasi-autobiographiques d'un dessinateur fauché et misanthrope. Beaucoup de récits commencèrent d'ailleurs sur des rencontres avec Raoul Cauvin pour scénariser le prochain Tuniques Bleus...

Toutes ces séries, créées un peu par hasard et souvent dans la précipitation plaisaient plus ou moins à leurs auteurs. La boite à idées s'épuisait. Certains pointaient aussi, chez Dupuis, un dessin très standardisé, avec des visages circulaires, de grands yeux, un nez ovale et des cheveux en bataille. D'une année sur l'autre, on avait l'impression de revoir toujours les mêmes séries, dans des aventures qui se ressemblaient plus ou moins. Certaines séries collaient de moins en moins à la réalité quotidienne. L'une des solutions, c'était de rajouter des personnages, lorsque la série patinait. Dans Yoko Tsuno, le trio initial se transforma en équipe de foot ! 
Le Journal de Tintin et Pilote disparurent dans l'indifférence générale. Et les enfants en avaient marre de ces séries. C'est aussi pour cela qu'ils accueillirent à bras ouverts les manga, au milieu des années 90.

Nick Rodwell est l'intraitable gestionnaire de l'usufruit d'Hergé. Toute image de Tintin doit passer par lui. Non seulement il faut payer une dîme, mais Moulinsart SA exige un droit de regard.
Pour Les Voitures Chinoises, j'avais trouvé des images du Lotus Bleu. La banque d'image prétendait en être propriétaire. Par peur des poursuites (Nick Rodwell allant jusqu'à faire interdire les ouvrages), je ne les ai pas prises. Tant pis.
Nick Rodwell a notamment bloqué tout projet de continuation de Tintin. Bob de Moor et Jacques Martin voulaient achever Tintin et l'Alph'art. Après tout, il avait dessiné l'essentiel des derniers albums... Refus de Moulinsart SA. Quant à créer de nouveaux albums...
Aujourd'hui, je me dis que ce n'est pas si mal. Il faut savoir arrêter une série. La preuve avec les quatre albums dans cette librairie. Sans parler de ce Spirou et la Gorgone Bleue qui ne ressemble à rien.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Choky

Chine, terre d'islam

Alstom

Un quinquennat pour rien, par Eric Zemmour