La caverne d'Ali Baba


J'ai pris environ un milliers de photos en Chine. Mais mes interlocuteurs Chinois n'ont que faire des temples, des jardins ou de mes "photos insolites". Non, ce qui les intéresse, c'est "Ali". Car après Foxconn, j'ai eu la chance de visiter un autre temple du capitalisme Chinois.


Les GAFAM Chinois ont prospéré dans une alliance de la censure et du protectionnisme. La Chine s'est longtemps abritée derrière ses règles draconiennes en matière de contrôle du contenu, pour refuser les réseaux sociaux US. Mais lorsque Mark Zuckerberg proposa un Facebook réservé à la Chine, ultra-fliqué et hébergé sur un serveur Chinois, il reçu une fin de non-recevoir.

Les réseaux sociaux Chinois ont pu donc prospérer dans un marché captifs de plusieurs centaines de millions d'internautes. Messagerie, streaming vidéos, films, musique... Les Chinois ne peuvent employer que des applis Chinoises. Alibaba ne craint pas la concurrence d'Amazon. Leurs téléphones sont bridés. Seules de rares applis comme WeChat possèdent une version anglaise. Pour les autres, il faut parfois disposer d'un smartphone Chinois. TikTok est une appli Chinoise, mais son jumeau Douyin est sur un serveur distinct, sans interconnexion.


Jack Ma est né à Hangzhou. C'est donc là qu'il a bâti son entreprise. On sent l'inspiration de la Silicon Valley : de grands bâtiments vitrés, beaucoup d'espaces verts, des coins détentes, des services gratuits pour les employés... Côté restauration, par contre, c'est resto Chinois ou resto Chinois.


A l'intérieur, une fresque raconte l'aventure Alibaba. Jack Ma était venu au web un peu par hasard. En 1999, avec une poignées d'amis, il fondait le site de B to B. Le nom était mondialement connu et prononçable, tant en Chine qu'en occident. Le 31 décembre 2001, la Chine entrait dans l'OMC. Alibaba s'imposa comme la porte d'entrée vers les ETI Chinois.
A l'époque, la mode était aux portails, aux plateformes de e-commerce entre entreprises, aux appels d'offres sur le web... Les outils disponible étaient souvent mal conçus et peu mis à jour. Alibaba sonna la fin de la partie. Un site clair, avec un bon moteur de recherche, des photos et des possibilités de contacter les entreprises. Alibaba lança même un genre de Paypal pour pro, Alipay, en 2004. Dans les faits, Alibaba servait surtout pour la prise de contact. Pour le passage de commandes, on revenait à un système plus classique d'échange de fax, puis de mails.
La vraie ascension fut vers 2006, lorsque l'ADSL, puis la fibre, s'imposèrent. On pouvait désormais charger images et vidéos rapidement.
En 2010, Alibaba se dotait d'un vrai site de B to C, Aliexpress. Là, il était davantage armé pour le passage de commande en ligne. Contrairement à Amazon, Aliexpress ne possèdait pas d'entrepôts. Le site mettait en contact les clients avec une e-boutique. Donc, souvent, on est sur des délais de livraisons depuis la Chine. Oubliez la livraison en 24h... Aussi, Aliexpress commercialise peu de produits culturels. Alors qu'Amazon avait débuté comme une librairie en ligne.
Toujours en 2010, Alibaba revu complètement Alipay. Désormais, c'était un moyen de paiement par smartphones, pour la Chine. Vous scannez un code QR et voilà. Les Chinois sont ainsi passé du liquide au paiement par smartphone, au grand dam des étrangers. Les cartes de crédits sont quasi-inutilisables.

Alibaba expose également ses engagements sociétaux. Notamment dans les ONG d'aides aux plus démunis, avec un remerciement du Parti Communiste Chinois...


Aliexpress est la pépite d'Alibaba. Le pendant du "black friday", c'est la "journée des célibataires", le 11 novembre. En Chine, c'est une véritable frénésie.

Alibaba possède également Taobao. Plus ancien qu'Aliexpress, ce portail exclusivement sinophone est plus exclusif. Mais la concurrence est aux aguet : les très agressifs Shein et Temu (accusé de vendre à perte), le Japonais Rakuten (spécialiste des goodies Japonaises) ou l'Américain Wish.com (raillé pour l'écart entre les produits en photos et les produits effectivement livré.)
La bagarre est rude. D'autant plus qu'il y a une quinzaine d'années, aucun de ces sites ne tenait le haut du pavé. Le roi du commerce Chinois en-ligne s'appelait Vancl, centré sur le textile. Il pouvait s'offrir les services de l'écrivain/blogueur/pilote star, Han Han. Sa politique de "satisfait ou remboursé" (sans frais à payer) s'avéra ruineuse. 


Les bâtiments de bureau possèdent des filets, au rez-de-chaussée. Comme chez Foxconn. Au Technocentre, lorsque des employés se sont jetés des passerelles, ils ont fermé les passerelles les plus hautes et installé des vitres en plexiglas au bord des terrasses. Certains se sont ensuite pendus aux patères, dans les toilettes. Alors ils ont démonté les patères, dans les toilettes.
C'est la même idée, au lieu de traiter les causes de stress, on empêche le suicide sur le lieu de travail. Les gens vont se suicider chez eux ; le motif professionnel sera plus compliqué à établir...

On est loin de l'aspect rieur et cool du parc. Profitons plutôt du parc, avec son lac et ses îles artificielles.


Alibaba recrute dans toute la Chine. Nombre d'employés logent près de leur lieu de travail, à la chinoise.

Originalité : des canards. C'est Jack Ma lui-même qui aurait voulu mettre là des palmipèdes.


Derrière la porte, il y a un parc. Seul Jack Ma en posséderait la clef.

Les portes ne sont pas prêtes de se rouvrir... Jack Ma a été un temps le chouchou du pouvoir Chinois. Il personnifiait une Chine entreprenante et innovante. Mais il s'est brûlé les ailes. En France, les PDG s'expriment régulièrement dans les médias. Ils y dénoncent volontiers la fiscalité, la bureaucratie, les normes, les lois, etc. En Chine, le PCC l'interdit. Parce qu'il aurait publiquement commenté la politique industrielle Chinoise, Jack Ma a été bousculé. A l'automne 2020, il disparu plusieurs mois des écrans de radar. On le revit loin d'Hangzhou et il fut prié de revendre certaines entreprises qu'il possédait. Depuis un peu plus d'un an, il habite au Japon et il aurait même repris son ancien travail de traducteur.

C'est tout l'archaïsme politique de la Chine. La priorité N°1 du PCC, c'est son maintien au sommet de l'état. Pour cela, il s'est bunkerisée.
Faisons de la politique-fiction. Imaginons que demain, le multipartisme soit autorisé et l'élections présidentielle, au suffrage universel. Le public voterait probablement dans son immense majorité pour Xi Jinping. Par adhésion et également par peur qu'une alternance politique ne soit synonyme de chaos. Les partis progressistes seraient sans doute soupçonnés d'être à la botte des Américains. Seules des groupuscules royalistes ou ultra-nationalistes émergeraient. Même Tienanmen, qui n'était qu'un Nuit Debout à la Chinoise, n'aurait pas changé grand chose. Le PCC n'a rien à craindre et il pourrait se targuer d'un vernis démocratique. Mais les communistes refusent de laisser le moindre espace, fût-il honorifique. Et ils exigent des yesmen, quitte à chasser les pourvoyeurs d'emplois.


Un dernier détail. Sur le campus, toutes les marques sont soigneusement cachées. Par exemple, sur les écrans, on a collé des logos Alibaba par dessus les logos originels. A une exception : les vélos, qui affichent fièrement "Flying Pigeon". Les employés d'Alibaba les empruntent gratuitement à l'intérieur du campus.

Flying Pigeon fut une marque de vélos de Tianjin. Elle avait été créé par l'occupant Japonais. Dans les années 80, les Chinois commençaient à peine à avoir quelques yuans en poche. Pouvoir s'acheter un Flying Pigeon était l'horizon de la classe moyenne et ce fut la première marque connue à travers le pays. Est-ce à dire qu'Alibaba passera la postérité, tout comme Flying Pigeon ?

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