Bali : eldorado touristique ou Disneyland ?


Je reviens de Bali. Quinze jours d'exotisme et de dépaysement. Pourtant, j'en garde une impression mitigée. L'impression d'avoir été parfois baladé d'un attrape-touriste vers un autre. 

L'an dernier, j'étais à Kuala Lumpur. Le dernier jour, j'errais en attendant l'heure de partir vers l'aéroport. Dans un centre commercial, j'étais tombé sur une simili-expo consacrée à l'Indonésie (NDLA : en fait, Bornéo.) Par rapport à la proprette KL, ça me semblait plus sauvage, plus chaotique... Pas question d'arriver comme cela à l'aéroport et de se débrouiller tout seul !

Mais avec tout cela, ça ne me disait pas où j'allais partir à l'été 2025 ! Puis j'ai vu une offre de circuit touristique pour Bali. Voilà qui résolvait la question organisationnelle : j'allais être pris en charge durant mon séjour. Hôtels, excursion, repas... Tout serait déjà réservé.

Un peu d'histoire...

Pour la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales (VOC), les Indes Néerlandaises n'était qu'un immense grenier à denrées : noix de muscade, maïs, tabac, café, piment, cacahuète, sucre... La VOC restait près des cotes. Au fil du XVIIIe siècle, les finances de la VOC s'asséchèrent.
En 1794, les Français envahirent les Provinces Unies, proclamant la République Batave. En 1799, la VOC fut formellement dissoute. A l'issue du Congrès de Vienne, en 1814, le Royaume Unie des Pays-Bas récupéra les possessions Asiatiques de la VOC.

Les Pays-Bas voulurent prendre le contrôle de l'ensemble des Indes Néerlandaises. Alors que l'essentiel des territoires sont musulmans, l'île de Bali est à majorité bouddhiste-hindouiste. La seconde moitié du XIXe siècle voyait l'apparition du tourisme. Pour les Néerlandais, Bali possédait davantage de potentiel, de part sa composition religieuse.

En 1906, les Néerlandais envahirent Denpasar. Cette grande ville, au sud de Bali, fut la dernière étape de la soumission de l'ensemble des Indes Néerlandaises. I Gusti Ngurah Made Agung, roi de Dempasar et arrière-petit-fils du fondateur de la cité, préféra le suicide à la reddition. Un milliers de ses sujets firent de même.

Les Néerlandais firent de Denpasar la capitale de Bali. Il y ouvrirent un premier hôtel. Ils tentèrent d'attirer une clientèle de riches bourgeois orientalisants. Bientôt, la rumeur se répandit en Europe que dans les temples, il y avait des danseuses aux seins nus !
Toute proportion gardée, les occidentaux arrivèrent à Dempasar et firent la tournée des temples. Les temples poussèrent comme des champignons sur l'île et les cérémonies se multiplièrent. On y incitait les visiteurs à donner un petit quelque chose, à la fin.
Les Néerlandais virent cela avec bienveillance. Les temples apportaient de la légitimité et de la prospérité aux nombreux roitelets de Bali. Derrière, l'aristocratie traditionnelle n'allait plus oser se rebeller contre les colons. Vu que plus de colons, plus d'argent. Par contre, les Néerlandais imposèrent aux danseuses Balinaises de se couvrir les seins. 

Ubud

Un aéroport ouvrit à Denpasar en 1932. Mais il fallu attendre l'indépendance de l'Indonésie pour qu'il soit doté de vraies infrastructures.

Dans les années 60, Bali se présentait comme le terminus de la route de hippies. Néanmoins, à partir de l'Inde ou du Népal, le franchissement des frontières était compliqué. Il fallait donc prendre l'avion. Or, la plupart des hippies avaient les poches vides.
Bali était davantage un repère de hippies australiens ou néo-zélandais. A l'arrivée à Denpasar, il faisait du stop jusqu'à Ubud. A seulement 20 km au nord de la capitale, c'était l'aventure. Un village de huttes de bambou, cerné de rizières et de jungle. Idéal pour une retraite spirituelle.

Les autorités Indonésiennes voyaient d'un mauvais œil les drôles de touristes d'Ubud. Fauchés, ils ne rapportaient pas la moindre roupie. Au fil des années, les hippies devinrent plus exigeants. Un Australien ouvrit un premier pub. Bientôt, les constructions en dur se multiplièrent. Aujourd'hui, Ubud est une destination très boboïsante, avec trattorias, boutiques de fringues, cafés chicos et hôtels quatre étoiles... Par contre, il n'y a pas d'éclairage public !

A Bali, il existe un authentique artisanat traditionnel : tressage de l'osier, meubles en bois exotiques, sculptures en pierre de lave, tissage de sarong... 

Hélas, Ubud est devenu le repaire des attrape-touristes. On se croirait au Maghreb ! Les touristes défilent dans de vraies-fausses échoppes. Dans l'entrée, des artisans sont en train de vaguement réaliser des bijoux, des petites sculptures, etc. Puis, à l'intérieur, il y a des quantités industrielles d'objets. Il y en a bien trop et ils sont trop biens réalisés pour avoir été faits à la main. Et à la boutique suivante, vous retrouvez exactement les mêmes objets.
Il y aussi les soit-disant marchés aux fruits, avec des fruits encore sous cellophanes. Les vendeuses, clairement venues d'autres îles, proposent aussi des magnets, sandales, etc. Et bien sûr, aucun Balinais n'y font leurs courses.

Canggu

Bali est cerné par la mer de Bali. Cette dernière est traversée par un courant fort, l'Indonesian Throughflow. Pour limiter l'érosion, de nombreuses côtes sont tapissées de brise-lames ou de récifs artificiels. Mais l'autre conséquence, ce sont de belles vagues.

La culture du surf s'est vraiment développée dans les années 60. Or, de nombreux surfeurs veulent avoir "leur" spot. Les surfeurs australiens ont donc cherché à s'éloigner d'endroits trop fréquentés. Ils ont ainsi découvert Canggu, un petit village de pêcheurs au nord de Denpasar.

Surfer, ça donne soif ! Des petits malins ouvrirent des bars à Canggu. Bientôt, le village - devenu une ville - fut le bar de l'Australie. A l'instar des Britanniques, dans les petites villes balnéaires espagnoles, les Australiens débarquèrent à Canggu pour des tournées des bars.

En 1995, le ministère de la santé voulu restreindre la consommation d'alcool. D'une part, il comptait mettre en place un genre de Licence IV, pour limiter la vente d'alcool. De plus, les alcools allaient être surtaxés. Les bouteilles dûment taxées devaient recevoir un timbre fiscal. A cet occasion, le ministère de la santé adjugea l'appel d'offre de fabrication des timbres à une société nouvellement créée, Arbamass Multi Invesco. Cette dernière étant dirigée par Ari Singit Suharto, petit-fils de l'autocrate.
Les Indonésiens étaient suffisamment habitués au népotisme de "la famille" pour débusquer la grosse ficelle derrière cette soudaine croisade anti-alcool. Surtout, dans ce pays majoritairement musulman, les principaux consommateurs d'alcool sont les touristes. Sans ses alcools bon marché, Canggu n'avait pas grand chose à vendre. Le lobby hôtelier menaça Djakarta d'une grève et la capitale dût céder.

Hélas, ce fut un répit de courte durée, car en 1997, la crise Asiatique frappa de plein fouet l'ensemble du continent. Plus personne n'avait d'argent pour aller à Bali.

Après la Crise Asiatique, Canggu voulu rebondir avec les night-clubs. La ville jouait les simili-Ibiza avec piste de danse à ciel ouvert, au bord des plages. Un lieu idéal pour les teufeurs du Pacifique.

Le 12 octobre 2002, un kamikaze se fit exploser dans un pub bondé, à Kuta. Les survivants, paniqués, sortirent dans la rue, où une voiture piégée les attendait. Ce fut un carnage. D'autant plus que faute d'infrastructures hospitalières, les blessés furent placés sur les chaises longues d'un hôtel. 202 personnes, dont un gros tiers d'Australiens, perdirent la vie. La Jemaah Islamiyah, un groupe djihadiste proche d'Al Qaeda, revendiqua l'attentat.

Trois ans plus tard, une série de bombes explosèrent dans un centre commercial, toujours dans les environs de Canggu. Elles ne firent "que" vingt morts. Là encore, les touristes étaient clairement visés.

Le gouvernement indonésien se montra impitoyable avec la Jemaah Islamiyah. Ses dirigeants furent exécutés. Néanmoins, les touristes craignaient une troisième vague d'attentats. Ce fut un coup d'arrêt pour le tourisme. 

Les touristes ont fini par revenir... En 2017, 5 millions de touristes étrangers visitèrent l'île, auxquels il faut ajouter environ 9 millions de touristes Indonésien. Le tourisme représentait 80% du PIB et générait une vingtaine de milliards d'euros. Un chiffre énorme pour cette île de 4 millions d'habitants, qui faisait de Bali la plus riche des îles d'Indonésie. Le salaire minimum mensuel en Indonésie est de 3,3 millions de roupies, soit 172€. En moyenne, les Indonésien gagnent 6 millions de roupie, soit 314€. Mais à Bali, la moyenne est à près de 17 millions de roupies, soit 881€ mensuel.
En conséquence, non seulement presque tous les Balinais se reconvertirent dans le tourisme, mais cela généra une immigration intra-indonésienne. Du coup, Djakarta a tendance à considérer que Bali peut se débrouiller seul. Ses recettes fiscales sont distribuées à des régions plus défavorisées. Alors que le réseau routier et la production d'eau potable sont sous-dimensionnés par rapport aux besoins.

Puis tout s'effondra en 2020. L'Australie et la Chine, deux des principaux pays d'origine des touristes, se bouclèrent à double-tour. Seuls 51 touristes étrangers visitèrent Bali en 2021. Certains Balinois retournèrent à leurs champ. Il faut noter que l'île est constellée d'hôtels, de restaurants et de temples à l'abandon.

En 2024, le tourisme en est revenu à son niveau pré-covid : 16 millions de touristes, dont 6 millions d'étrangers. Mais les acteurs préfèrent rester prudent sur les investissement.

Le portrait robot du touriste, c'est un Australien, qui ne passe qu'une seule nuit sur place. Budget total : 150€. 

Le nerf de la guerre, c'est d'inciter les touristes à rester plus longtemps. Bali met le paquet sur les activité de plein air : rafting, accrobranche, plongée sous-marine, etc.

Le bureau du tourisme vise aussi désormais les Européens. Ils restent plus longtemps, font davantage de visites et s'enfoncent donc dans les terres. Sur le premier semestre 2025, les Français sont devenus les quatrième touristes étrangers.

Bali tente même d'attirer les jeunes des cités, qui commencent à être défavorablement connus en Thaïlande. D'où la prolifération de bars à chicha et de kebabs. Dans mon hôtel, il y avait un groupe de supporters Anglais (trois jeunes hommes et trois jeunes filles), dans une chambre donnant sur la piscine. Ils parlaient fort, avaient mis l'enceinte bluetooth à fond et ils laissaient des détritus partout. Les voisins se sont plaints et les six se sont fait dégager.

Après, pour être honnête, Bali met en avant ses formules open bar et elles se retrouvent avec des touristes bas du front, quel que soit leur origine ethnique. Et souvent alcoolisés. Les anglo-saxons ont l'alcool matinal et ils ont tendance à s'installer au bord des piscines. Les Français préfèrent se balader canette à la main, même dans les temples.

Bali, paradis artificiel ?

Il faut bien comprendre que jusqu'aux années 80, dès que vous quittiez Denpasar, les villages ressemblaient à cela :

Il y avait de rares constructions en dur. Elles sont d'ailleurs aujourd'hui précieusement conservées.

Quant aux Néerlandais, ils ne sont pas resté assez longtemps et ils n'étaient pas assez nombreux pour avoir laissé de grandes traces.

Donc, presque tout ce que vous verrez est de construction récente. Y compris les lieux qui ont "l'air ancien".

L'individualisme de masse

Bali, ce n'est pas Punta Cana : hors de Denpasar, point d'hôtels de trois cents chambres avec dix restaurants. Ce n'est pas non plus la Chine : l'unique centre commercial de Canggu était ridicule et vous devez avoir dix fast-foods (Kurber Bing, McDo et SKF confondus) sur toute l'île.

C'est plus subtil.

Au pied des monuments, vous n'avez pas des autocars, mais des dizaines de voitures avec chauffeur et guide. Ce sont ces SUV noirs ou blancs.

Vous arrivez dans un lieu et ça parle français autour de vous.

En fait, le positionnement de Bali, ce sont les "expériences". Que ce soit dans les monuments, les attractions, les restaurants, les hôtels, etc. Tout est calibré pour les réseaux sociaux. Il ne s'agit pas tant de profiter, que d'être capable de tourner des "stories" qui rendront jaloux vos followers.

Suivant les classements, Bali est la deuxième ou la quatrième destination la plus "instragrammée" au monde.


Certains coins sont transformée en ferme d'Instagram, comme cette autre rizière. Ils ont monté dessus une tyrolienne, une tyrolienne "tapis volant", des balançoires (où ils vous fournissent des robes rouges avec traine), il y a même une mamie qui vous propose de tenir un balancier (vide.) Chacun se fait sa petite vidéo, à quelques mètres, les uns des autres.

Mon guide m'encourageait régulièrement : "Là, c'est un endroit pour une photo [de vous]", "une fois arrivé en haut, on fera une photo." Lorsque je m'attardais trop, il disait : "Non, par là, c'est trop long." Car déjà, il fallait repartir vers un autre lieu et faire d'autres photos...

Et presque partout, il y avait une jeune fille en pleine story. Elles n'hésitaient pas à poser leur attirail au milieu de la foule, ni à mettre la musique à fond. Et gare à vous, si vous passiez dans le champ !

Ce narcissisme exacerbé ne gène pas trop les Balinais. Ils se disent qu'avec les touristes, c'est normal. Et puis, tout ces micro-influenceurs donneront peut-être envie à d'autres étrangers de venir à Bali.

D'ailleurs, les plus jeunes sont également accros au réseau sociaux. Ici, des lycéens s'apprêtent à tourner une vidéo pour fêter la fin de l'année scolaire.

Je l'ai dit plus haut, il n'y a jamais eu autant de temple que depuis qu'il y a des touristes.

Dans les temples les plus traditionnels, le port du sarong est obligatoire. Vous pouvez en louer un à l'entrée. La plupart des salles ne sont ouvertes que durant les offices religieux. Et si une cérémonie est en cours, il y a un périmètre d'exclusion.

Bali est une île montagneuse. "Avancer" est donc souvent synonyme de "grimper". C'est parfois frustrant de gravir un long escalier en sarong, tout ça pour tomber sur une porte cadenassée. Mais après tout, ce sont leurs croyances et c'est le prix de l'authenticité.

Puis il y a les temples "Disneyland", ouverts à tous, avec des processions publiques. Ils possèdent souvent des boutiques souvenirs et des restaurants sur-place. Forcément, ces derniers sont mieux entretenus. Pour autant, ils sont généralement bondés et il y a peu de Balinais dans la foule.

La logique mercantile des Balinais est parfois difficile à appréhender.

Cet oiseau, c'est un Etourneau de Rotschild. Entre la gestion de la banque familiale et le travail préparatoire de la déclaration Balfourt, Lionel Walter Rotschild s'est rendu à Bali. Ornitologue amateur, il y a découvrit ce passereaux.
Cet oiseau ne vit qu'à Bali et il est d'ordinaire très timide. S'il est sorti, c'est parce qu'à quelques mètres de là, des hommes brûlaient la jungle... Pour ouvrir un sanctuaire dédié.


Il existe sans doute un Bali plus authentique. Mais les Balinais eux-mêmes ne savent pas le mettre en valeur. A l'instar de ces saulniers paumés au fond d'un petit chemin. Ils ne vendent même pas leur sel de mer !

Conclusion

Bali, île paradisiaque ou usine à touristes ? Chacun se fera sa propre opinion, à la vue des arguments pour et contre.

Personnellement, le bilan de mon séjour est plus que globalement positif. Parfois, j'avais l'impression de m'être fait baladé. Et une fois éloigné de l'agitation des influenceurs, des soiffards et des marchands du temple, j'étais saisi par la quiétude des lieux. Tant dans la jungle, les rizières, que les plages de sable volcanique. J'ai ainsi pris près de 5 200 photos durant ce séjour !

"Bengawan solo..."

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