Fin de partie à l'Aviation

D'habitude, les entreprises qui ferment, ça me rend triste. Là, j'étais joyeux. L'Aviation Club de France, c'est fini. Le magasin Alain Afflelou va s'agrandir à son dépens.
 
D'après Wikipédia, l'Aviation Club de France est né en 1907. C'était alors, comme son nom l'indique, un club très sélect d'aviateurs. En 1925, il devint un cercle de jeu. Mais les vrais débuts furent pour le lendemain de la guerre.
Le "milieu" corse avait activement participé à la résistance, avec les Gaullistes. En guise de renvoi d'ascenseur, ils auraient obtenu le contrôle des cercles de jeu parisiens. Officiellement, c'était des associations. Sachant que seules les villes d'eau pouvaient accueillir des casinos et des casinotiers. L'Aviation Club de France devait ainsi s'occuper des veuves et des orphelins d'aviateurs (!) Dans les statuts, il y avait même un laïus sur le dénouement dans lequel ils se retrouvent.
Dans les années 70, changement de régimes. Les tenanciers de cercles faisaient vivre des villages entiers, sur l'île de Beauté. Des personnes peu recommandables montaient à Paris. Fait étonnant, dans la police des jeux, il y avait aussi nombre de Corses. En 1988, François Mitterrand était réélu. Le Concorde, proche de Charles Pasqua, fut fermé.
En 1995, le poker fut autorisé dans Paris. Bientôt, ce fut le jackpot, les pigeons qui jouaient au Texas Hold'em en se prenant pour Paul Newman ou Matt Damon (suivant la génération.) Canal+ diffusait les tournois. Des joueurs invétérés, comme Patrick Bruel, ne se cachaient plus. Les croupiers étaient de la chair à canon. Les plus vaillants restaient une année. Beaucoup partaient au bout d'une semaine. Moi, on m'a gardé 5 mois. Officiellement, le responsable de salle n'avait pas apprécié une nouvelle autobiographique. En fait, plusieurs joueurs étaient persuadés que je portais la poisse ! On se faisait insulter. On pouvait travailler jusqu'à 14h, 6 jours sur 7. Enfin... D'après les caisses de retraite, je n'y ai jamais travaillé. J'ai découvert a posteriori que je n'étais pas déclaré ! Mais le pire, c'est que j'avais l'impression de faire quelque chose d'immoral. Ca me minait, de voir des gens dépenser là leurs derniers euros. J'ai vu des gens quitter leurs jobs parce qu'ils étaient accro au gens. J'ai vu des gens jouer jusqu'à la fermeture, espérant ainsi se refaire. J'ai vu des polydépendents. Les gens ne jouaient pas pour gagner. Ce qui les excitait, c'était d'avoir des cartes en main, puis lorsque j'ouvrais le flop. Les gros joueurs avaient le même regard éteint, qu'ils gagnent ou qu'ils perdent.
Le poker, à Paris, c'était un drôle de cocktail. D'un côté, les stars, le glamour. Au milieu, de curieux intermédiaires, chargés de jouer les rabatteurs pour les tournois. Au fond, les petits joueurs, ceux qui assuraient le fonctionnement du jeu. Et en arrière-salle, le grand-banditisme Corse. Bruel posait fièrement dans Poker Magazine avec sa casquette "W". En 2011, le Cercle Wagram (alias le "W") fut victime d'une révolution de palais. C'était la connerie de trop. Il fut fermé. Le Concorde, rouvert en 2005, subit le même sort. Paul Barril (le fameux capitaine Barril des Irlandais de Vincennes) et Jacques Vergès apparaissaient dans le dossier. Puis ce fut le tour de l'Aviation Club de France. La direction tenta de jouer la corde sensible, en montrant des croupiers au chômage technique. Le Concorde tenta de rouvrir sous le nom de Cadet, avant de fermer de nouveau.
A mon avis, c'était un ensemble de choses. La nouvelle génération de tenanciers n'avait plus la discrétion de ses ainés. Le lobbying corse (notamment auprès du RPR/UMP) perdait de sa force. Enfin, avec les paris en ligne, l'état s'était trouvé une nouvelle source de revenus. Elle n'avait plus besoin de l'argent sulfureux du poker.

Schadenfreude.

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