Chine, terre d'islam

Je recommande ce livre d'Emmanuel Lincot, aux PUF. Il traite des rapports entre la Chine et le monde arabo-musulman.

En 752, 19 ans après Poitiers, les Arabes défaisaient les Chinois à Talas, dans l'actuel Kirghizistan. Le général Abu Muslim n'alla pas plus à l'est. Il se contenta d'islamiser l'Asie Centrale. Côté Chinois, cette défaite précipita la chute l'empereur Suzong et la dynastie Tang ne s'en remit pas.
Ce fut le tout premier contact entre la Chine et l'islam. A l'ouest et au nord, la Chine faisait face à des contrées sauvages et peu peuplées. Dans les bons jours, l'empire eu une stratégie par cercles. Des paysans étaient envoyés dans les territoires en lisière de l'empire, afin de les siniser. Au-delà, des soldats tentaient de soumettre les populations nomades, à coups d'expéditions punitives et de faits accomplis. Enfin, bien au-delà des frontières, la Chine envoyait des diplomates et des commerçants auprès des roitelets amis, afin de créer des glacis. Le but ultime étant de finir par rattacher à la Chine ces zones en périphérie. Lorsque l'empire chancelait, il se repliait sur son cœur historique. Faute de troupes et de fonctionnaires, il sous-traitait la gestion de certaines provinces à des Arabes, puis à des Turcs. C'est ainsi que certaines provinces devinrent musulmanes. Enfin, il y eu la parenthèse Mongole, durant laquelle Chine, Asie Centrale et Perse firent parti d'un même empire.
En 1949, Mao Zedong prit le pouvoir et la Chine s'impliqua dans la politique mondiale. Par goût de l'anti-impérialisme et de la guérilla, le pays se rapprocha d'un monde arabo-musulman en pleine décolonisation. Elle fournit armes et conseillers militaires au FLN, aux frères Musulmans, au parti Baas... Et au Shah d'Iran. La Chine portait une oreille attentive aux tenants d'un islam déjà radical... Alors qu'au même moment, en Chine, on rasait les mosquées et on forçait les musulmans à manger du porc. Au Cambodge, les Khmers Rouge massacraient un minorité musulmane au nom de Mao.
Dans les années 90-2000, le soutien devint davantage commercial. Les Etats-Unis décidaient de bannir un état, afin de l'isoler. A chaque fois, la Chine contournait les embargos pour écouler ses produits (et ses armes) au paria. Ce fut le cas de l'Iraq, l'Iran ou le Soudan, mais aussi avec la Serbie de Milosevic ou le Venezuela. Au nom de la "neutralité politique", la Chine s'interdisait de faire la moral aux autocrates.
Emmanuel Lincot oublie d'évoquer la corruption. Les dictateurs sont souvent dans un logique de prédation. Or, avec l'Affaire Elf, l'Angolagate ou les Diamants de sang, les juges ont expliqué aux hommes d'affaires occidentaux qu'ils devaient respecter une certaine éthique, même hors d'occident. Éthique sur laquelle les Chinois s'assoient. La prise de Macao et de Hong-Kong fut autant de portes ouvertes vers les pays anglophones et lusophones.

Le gros du livre est consacré aux Nouvelles Route de la Soie. C'est au Kazakhstan, en 2013, que Xi Jinping lança son projet pharaonique. Cette fois-ci, il ne s'agissait plus de commercer avec des pays ; il fallait se créer des obligés. D'après l'auteur, c'est face à l'intransigeance Américaine sur la mer de Chine que le pays s'est transformé en puissance continentale. Les routes et les voies ferrées enjambent des zones de haute montagne et franchissent les déserts. L'Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) offre des prêts usuriers. Ce que les occidentaux voient moins, c'est que la Chine exporte également ses dogmes. A Hollywood ou durant les matchs de la NBA, interdiction d'évoquer Taïwan. Au début de la crise du Covid, les occidentaux furent forcer de gober les mensonges Chinois, via une OMS complètement noyautée.
La Russie, l'Inde et dans une moindre mesure la Turquie et l'Iran ont également des projets de coopération à grande échelle. Mais aucun n'a la puissance financière de la Chine. Les Nouvelles Routes de la Soie sont tour à tour un projet complémentaire ou concurrent aux leurs.
En théorie, tout le monde st content. Les pays du "sud" modernisent leurs infrastructures sans l'aide des anciens occidentaux et surtout, sans remontrances sur les Droits de l'Homme. On est davantage dans une communauté d'intérêts que dans une vrai politique arabo-musulmane de la Chine. Mais en s'ouvrant, la Chine s'expose. Au Maghreb, la population n'a pas apprécié de voir des ouvriers Chinois s'installer sur les chantiers. En Afrique sub-saharienne, dans les mines et l'exploitation forestière, les contremaitres Chinois imposent des conditions proches de l'esclavage. Dans les pays musulmans, les Ouïgours sont devenus un totem, comme pouvaient l'être les Palestiniens. Les groupes islamistes sont souvent la seul source de contre-information sur le Xinjiang. Elles rapportent des exactions aussi atroces qu'invérifiables. Au Mali, ce sont désormais les hommes d'affaires Chinois que l'on enlève. En Asie Centrale, plusieurs attentats ont visé des Chinois. Donald Trump, puis Joe Biden, boivent du petit lait. Il n'étaient plus questions d'assurer la sécurité de pays qui s'approvisionnaient auprès de la Chine. D'autant plus que pour sanctuariser ses chantiers, la Chine n'hésite pas à arroser des groupes terroristes. Trump et Biden ont donc confié le dossier des "Guerres Éternelles" Irakienne et Afghane aux Chinois, où ils sont pris à partie.
Le pari des Américains, c'est que le coût financier et les morts côtés Chinois finissent par ruiner le projet Nouvelle Route de la Soie. La population Chinoise remettrait alors en cause le PCC, censé assurer la stabilité et la prospérité du pays. C'est aussi la théorie d'Emmanuel Lincot. Personnellement, je pense que le PCC possède énormément de fusibles. Dans un cas extrême, il n'hésitera pas à limoger le président Chinois, voire à l'emprisonner, afin de lui faire porter le chapeau.

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