Xinjiang, petite mise au point

Ces derniers temps, on lit tout et n'importe quoi sur le Xinjiang. Cette région, je la connais car je l'ai parcourue en long et en large en 2016. Y compris dans les zones méridionales, interdites aux étrangers. Surtout, je me suis intéressé à ce que j'ai vu, sur place.
Les massacres de Ouïgours, je ne les nie pas. J'ai été témoin de scènes où la police militaire Chinois fondait sur une foule apparemment pacifique et distribuait des violents coups de bâtons. Les camps de travail, je ne les ai pas vu, mais cela me semble tout à fait plausible.

A Ürümqi, le premier jour, j'avais voulu photographier les antiques 4x4 BJ212 de l'armée. Un soldat m'a vu et il m'a forcé à effacer toutes les photos (sauf celle-ci.) Autant dire qu'ensuite, chaque fois que je voyais du kaki, je rangeais mon appareil-photo...

La Chine est une dictature. Pour le PCC, il n'y a de parti que le Parti et Xi Jinping est son président. Dès qu'il voit trois personnes derrières une banderoles, il réprime sauvagement. Les meneurs étant condamnés à de lourdes peines, voire exécutés. Qu'il s'agisse d'un syndicat, d'une association spirituelle, etc. C'était le cas avec le milieu estudiantin au début des années 90, puis avec les Tibétains, le Falun Gong et aujourd'hui, avec Hong Kong.

Face à des cas de terroristes Islamistes formés par Al-Qaïda et des vidéos de mouvements séparatistes, Pékin a verrouillé la région à double-tour. Même pour faire le plein d'essence, il faut montrer patte blanche et le drapeau du "Turkestan oriental" de Raphaël Glucksmann, je ne l'ai vu nul part !

Ce black out favorise le story telling d'organisations islamistes. Ils racontent notamment qu'un état existait, le Turkestan. Les Chinois serait arrivés en 1949, soumettant les Ouïgours.

Au Tibet, il existait effectivement un royaume, conquis par les Chinois. L'Asie Centrale du XIXe siècle, en revanche, c'était une mosaïque d'ethnies semi-nomades et de territoires peu peuplés, en lisière des empires Russes, Ottomans et Chinois. En gros, c'était la version asiatique des Balkans au XVIe siècle.
En 1865, les Russes débarquèrent à Turkistan, au Kazakhstan et ils crurent que c'était le nom de la région. Peu après, Ferdinand von Richthoffen broda beaucoup sur la Route de la Soie et le Turkestan. Ce mythe d'un état turcophone ressorti à la chute de l'URSS.

Les Chinois se sont établis au Xinjiang dès le milieu du XVIIIe siècle. Le bassin de Tarim devint la frontière naturelle occidentale de la Chine. Elle transforma ainsi une collection de villages en province structurée. Russes et Anglais se partagèrent le flanc occidental des Pamirs.
Au XXe siècle, la Russie, puis l'URSS lorgnait sur la Chine septentrionale. Elle voulu organiser une révolte des Ouïgours, afin de créer un état pro-soviétique (comme en Mongolie.) Ses agents du renseignement furent massacrés par les Ouïgours.
Dans les années 50, les Chinois découvrirent du pétrole. Ils fondèrent des villes, comme Karamay. En plus, aujourd'hui, avec la Nouvelle Route de la Soie, le Xinjiang devient un hub routier et ferroviaire vers le Pakistan et le Kazakhstan. Pas question de le laisser filer !

Les Ouïgours se plaignent de n'être plus que 40% de la population, contre 90% en 1950. La faute à l'invasion Han !
Certes, Pékin a tenté d'implanter des paysans Han au Xinjiang, pour noyer démographiquement les Ouïgours. Le long des routes, on voit des alignements de cabanes à moitié en ruine. Malgré les aides, c'est un flop.

Néanmoins, en règle générale, la population Chinoise est très mobile. L'industrie de l'hydrocarbure, l'agroalimentaire (vin, concentré de tomates...), le tourisme et le transport ont créé un appel d'air. Tant en emplois directs, qu'indirects. Pour les Han, mais également les Hui. Ils fuient des provinces du centre, plus misérables.
Précisons que les Ouïgours sont souvent écartés de ces nouveaux bassins d'emploi. Ce qui augmente leur frustration.

L'autre fake news des islamistes, c'est de dire que les Chinois massacrent les musulmans. Pékin s'en prend aux Ouïgours en tant qu'ethnie rebelle.
La principale communauté musulmane, ce sont les Hui et ils n'ont aucun souci avec Pékin. En 1273, face à un Yunnan incontrôlable, Kubilai Khan aurait nommé Sayyid Ajjal Shams al-Din Omar, un gouverneur arabo-perse. Il pacifia la région et converti à l'islam une parti de la population. Ce sont les Hui du Sud.
Les Hui du Nord, eux, descendraient des marchands Perses qui s'installèrent en Chine dès le haut moyen-âge. D'abord Zoroastre, ils auraient été converti plus tard. Musulmans chiites, les Hui du Nord sont présents au Xinjiang et ils n'ont aucune empathie pour les Ouïgours sunnites.

Les Ouïgours ne sont qu'une ethnie au sein d'un Xinjiang hétérogène.
La présence Han, au-delà du Tarim, est très anciennes. Chen Tang aurait affronté la descendants d'Alexandre dans l'actuel Kirghizstan. Le royaume des Ḵwarazm, au bord de la mer d'Aral, fut le plus occidental des suzerains de la dynastie Tang. Les Abbassides vainquirent les Chinois au bord de la rivière Talas, en 751 et ils durent reculer à l'est. Lorsque Gengis Khan pénétra dans Samarkand, en 1220, il plaça des aristocrates Han à la tête de la ville. L'historien Perse Juvaini, qui l'accompagnait, nota qu'il y avait déjà des ethnies Chinoises dans la région.
Enfin, au XVIIIe siècle, les Dzungar occupaient le Tarim. La dynastie Qing chassa ces nomades Tibétains et les Ouïgours purent se développer.

En résumé les Ouïgours se réfèrent à un royaume du Turkestan oriental, turcophone et musulman, qui n'a jamais été une réalité tangible.

Enfin, l'acculturation des ethnies étaient un fait, jusque dans les années 80. Suivant le modèle Stalinien, Pékin ne voulait plus voir qu'une ethnie (les Han) et aucune religion.
Aujourd'hui, l'architecture et les traditions sont mises en valeur, notamment dans un but touristique. Les Chinois découvrant depuis peu les joies des voyages organisés. A Turpan, ils viennent voir les 1001 Nuits, de la danse du ventre et des caravansérails en carton-pâte. Du reste, le style orientalisant est très en vogue au Xinjiang.

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